Dimanche de la Trinité


Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto!
Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto!

Considérations

Nous avons vu les saints Apôtres, au jour de la Pentecôte, recevoir l’effusion de l’Esprit-Saint, et bientôt, fidèles à l’ordre du Maître (s. Matth. 28, 19), ils vont partir pour aller enseigner toutes les nations, et baptiser les hommes au nom de la Sainte Trinité. Il était donc juste que la solennité qui a pour but d’honorer Dieu unique en trois personnes suivît immédiatement celle de la Pentecôte à laquelle elle s’enchaîne par un lien mystérieux. Cependant, ce n’est qu’après de longs siècles qu’elle est venue s’inscrire sur le Cycle de l’Année liturgique, qui va se complétant par le cours des âges.

Tous les hommages que la Liturgie rend à Dieu ont pour objet la divine Trinité. Les temps sont à elle comme l’éternité; elle est le dernier terme de notre religion tout entière. Chaque jour, chaque heure Lui appartiennent. Les fêtes instituées en commémoration des mystères de notre salut aboutissent toujours à elle. Celles de la très sainte Vierge et des Saints sont autant de moyens qui nous conduisent à la glorification du Seigneur unique en essence et triple en personnes. Quant à l’Office divin du Dimanche en particulier, il fournit chaque semaine l’expression spécialement formulée de l’adoration et du service envers ce mystère, fondement de tous les autres et source de toute grâce.

On comprend dès lors comment il se fait que l’Église ait tardé si longtemps d’instituer une fête spéciale en l’honneur de la sainte Trinité. La raison ordinaire de l’institution des fêtes manquait ici totalement. Une fête est le monument d’un fait qui s’est accompli dans le temps, et dont il est à propos de perpétuer le souvenir et l’influence: or, de toute éternité, avant toute création, Dieu vit et règne, Père, Fils et Saint-Esprit. Cette institution ne pouvait donc consister qu’à établir sur le Cycle un jour particulier où les chrétiens s’uniraient d’une manière en quelque sorte plus directe dans la glorification solennelle du mystère de l’unité et de la trinité dans une même nature divine.

La pensée s’en présenta d’abord à quelques-unes de ces âmes pieuses et recueillies qui reçoivent d’en haut le pressentiment des choses que l’Esprit-Saint opérera plus tard dans l’Église. Dès le 8e siècle, le savant moine Alcuin, rempli de l’esprit de la sainte Liturgie, comme ses écrits en font foi, crut le moment venu de rédiger une Messe votive en l’honneur du mystère de la sainte Trinité. Il paraît même y avoir été incité par un désir de l’illustre apôtre de la Germanie, saint Boniface. Cette Messe, simplement votive, n’était toutefois qu’un secours pour la piété privée, et rien n’annonçait que l’institution d’une fête en sortirait un jour. Cependant la dévotion à cette Messe s’étendit peu à peu, et nous la voyons acceptée en Allemagne par le concile de Seligenstadt, en 1022.

Mais à cette époque déjà, une fête proprement dite de la Sainte‑Trinité avait été inaugurée dans l’une des églises de la pieuse Belgique, dans celle-là même qu’une autre grâce prédestinait à enrichir le Cycle chrétien d’un de ses signes les plus resplendissants. Etienne, évêque de Liège, instituait solennellement la fête de la Sainte-Trinité dans son Église en 920, et faisait composer un Office complet en l’honneur du mystère. La disposition du droit commun qui réserve aujourd’hui au Siège apostolique l’institution des nouvelles fêtes n’existait pas encore, et Riquier, successeur d’Étienne sur le siège de Liège, maintint l’œuvre de son prédécesseur.

Elle s’étendit peu à peu, et il paraît que l’Ordre monastique lui fut promptement favorable; car nous voyons, dès les premières années du 11e siècle, Bernon, abbé de Reichnaw, s’occuper de sa propagation. À Cluny, la fête s’établit d’assez bonne heure dans le cours du même siècle, comme on le voit par l’Ordinaire de cet illustre monastère rédigé en 1091, où elle se trouve mentionnée comme étant instituée depuis un temps déjà assez long.

Sous le pontificat d’Alexandre II, qui siégea de 1061 à 1073, l’Église Romaine, qui souvent sanctionna, en les adoptant, les usages des Églises particulières, fut mise en mesure de porter un jugement sur cette nouvelle institution. Le Pontife, dans une de ses Décrétales, tout en constatant que la fête est déjà répandue en beaucoup de lieux, déclare que l’Église Romaine ne l’a pas acceptée, par cette raison que chaque jour l’adorable Trinité est sans cesse invoquée par la répétition de ces paroles: Gloria Patri, et Filio, et Spiritui Sancto, et dans un grand nombre d’autres formules de louange[1].

Cependant la fête continuait à se répandre, comme l’atteste le Micrologue ; et dans la première partie du 12ème siècle, le docte abbé Rupert, que l’on peut appeler avec raison l’un des princes de la science liturgique, proclamait déjà la convenance de cette institution, s’exprimant à son sujet comme nous le ferions aujourd’hui, dans ces termes remarquables : « Aussitôt après avoir célébré la solennité de l’avènement du Saint-Esprit, nous chantons la gloire de la sainte Trinité dans l’Office du Dimanche qui suit, et cette disposition est très à propos ; car aussitôt après la descente de ce divin Esprit, commencèrent la prédication et la croyance, et, dans le baptême, la foi et la confession du nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit[2]. »

En Angleterre, l’établissement de la fête de la Sainte-Trinité eut pour auteur principal le glorieux martyr saint Thomas de Cantorbéry ; ce fut en 1162 qu’il l’institua dans son Église, en mémoire de sa consécration épiscopale qui avait eu lieu le premier Dimanche après la Pentecôte. Pour la France, nous trouvons, en 1260, un concile d’Arles présidé par l’archevêque Florentin, qui, dans son sixième canon, inaugure solennellement la fête, en y ajoutant le privilège d’une Octave. Dès 123o, l’Ordre de Cîteaux, répandu dans l’Europe entière, l’avait instituée pour toutes ses maisons ; et Durand de Mende, dans son Rational, donne lieu de conclure que le plus grand nombre des Églises latines, dans le cours du 13ème siècle, jouissaient déjà de la célébration de cette fête. Parmi ces Églises, il s’en trouvait quelques-unes qui la plaçaient, non au premier, mais au dernier Dimanche après la Pentecôte, et d’autres qui la célébraient deux fois : d’abord en tête de la série des Dimanches qui suivent la solennité de la Pentecôte, et une seconde fois au Dimanche qui précède immédiatement l’Avent. Tel était en particulier l’usage des Églises de Narbonne, du Mans et d’Auxerre.

On pouvait dès lors prévoir que le Siège apostolique finirait par sanctionner une institution que la chrétienté aspirait à voir établie partout. Jean XXII, qui occupa la chaire de saint Pierre jusqu’en 1334, consomma l’œuvre par un décret dans lequel l’Église Romaine acceptait la fête de la Sainte-Trinité et l’étendait à toutes les Églises.

Si l’on cherche maintenant le motif qui a porté l’Église, dirigée en tout par l’Esprit-Saint, à assigner ainsi un jour spécial dans l’année pour rendre un hommage solennel à la divine Trinité, lorsque toutes nos adorations, toutes nos actions de grâces, tous nos vœux, en tout temps, montent vers elle, on le trouvera dans la modification qui s’introduisait alors sur le calendrier liturgique. Jusque vers l’an 1000, les fêtes des Saints universellement honorés y étaient très rares. Après cette époque, elles y apparaissent plus nombreuses, et il était à prévoir qu’elles s’y multiplieraient toujours davantage. Un temps devait venir où l’Office du Dimanche, qui est spécialement consacré à la sainte Trinité, céderait fréquemment la place à celui des Saints que ramène le cours de l’année. Il devenait donc nécessaire, pour légitimer en quelque sorte ce culte des serviteurs au jour consacré à la souveraine Majesté, qu’une fois du moins dans l’année, le Dimanche offrit l’expression pleine et directe de cette religion profonde que le culte tout entier de la sainte Église professe envers le souverain Seigneur, qui a daigné se révéler aux hommes dans son Unité ineffable et dans son éternelle Trinité.

L’essence de la foi chrétienne consiste dans la connaissance et l’adoration de Dieu unique en trois personnes. C’est de ce mystère que sortent tous les autres ; et si notre foi s’en nourrit ici-bas comme de son aliment suprême, en attendant que sa vision éternelle nous ravisse dans une félicité sans fin, c’est qu’il a plu au souverain Seigneur de s’affirmer tel qu’il est à notre humble intelligence, tout en demeurant dans sa « lumière inaccessible (1 Tim. 6, 16) ». La raison humaine peut arriver à connaître l’existence de Dieu comme créateur de tous les êtres, elle peut prendre une idée de ses perfections en contemplant ses œuvres ; mais la notion de l’être intime de Dieu ne pouvait arriver jusqu’à nous que par la révélation qu’il a daigné nous en faire.

Or, le Seigneur voulant nous manifester miséricordieusement son essence, afin de nous unir à lui plus étroitement et de nous préparer en quelque façon à la vue qu’il doit nous donner de lui‑même face à face dans l’éternité, nous a conduits successivement de clarté en clarté, jusqu’à ce que nous fussions suffisamment éclairés pour reconnaître et adorer l’Unité dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité. Durant les siècles qui précèdent l’Incarnation du Verbe éternel, Dieu semble préoccupé surtout d’inculquer aux hommes l’idée de son unité ; car le polythéisme devient de plus en plus le mal du genre humain, et la notion même de la cause spirituelle et unique de toutes choses se fût éteinte sur la terre, si la bonté souveraine n’eût opéré constamment pour sa conservation.

Ce n’est pas cependant que les livres de l’ancienne alliance soient entièrement muets sur les trois divines personnes, dont les ineffables relations sont éternelles en Dieu ; mais ces textes mystérieux demeuraient inaccessibles au vulgaire, tandis que, dans l’Église chrétienne, l’enfant de sept ans répond à qui l’interroge qu’en Dieu trois personnes divines n’ont qu’une même nature et qu’une même divinité. Lorsque, dans la Genèse, Dieu dit au pluriel : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance (Gen. 1, 26) », l’Israélite s’incline et croit, mais sans comprendre ; éclairé par la révélation complète, le chrétien adore distinctement les trois personnes dont l’action s’est exercée dans la formation de l’homme, et, la lumière de la foi développant sa pensée, il arrive sans effort à retrouver en lui-même la ressemblance divine. Puissance, intelligence, volonté : ces trois facultés sont en lui, et il n’est qu’un seul être.

Salomon dans les Proverbes, le livre de la Sagesse, l’Ecclésiastique, parle avec magnificence de la Sagesse éternelle. Son unité avec l’essence divine et sa distinction personnelle éclatent en même temps dans un langage abondant et sublime ; mais qui percera le nuage ? Isaïe a entendu la voix des Séraphins retentir autour du trône de Dieu. Ils criaient alternativement dans une jubilation éternelle : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur (Isai., 6, 3) ! » Qui expliquera aux hommes ce trois fois Saint dont la louange envoie ses échos jusqu’à notre terrestre région ? Dans les Psaumes, dans les écrits prophétiques, un éclair sillonne tout à coup le ciel ; une triple splendeur a ébloui le regard de l’homme ; mais l’obscurité devient bientôt plus profonde, et le sentiment de l’unité divine demeure seul distinct au fond de l’âme, avec celui de l’incompréhensibilité de l’être souverain.

Il fallait que la plénitude des temps fût accomplie ; alors Dieu enverrait en ce monde son Fils unique engendré de lui éternellement. Il a accompli ce dessein de sa divine munificence, « et le Verbe fait chair a habité parmi nous (s. Jean 1, 14) ». En voyant sa gloire, qui est celle du Fils unique du Père (Ibid.), nous avons connu qu’en Dieu il y a Père et Fils. La mission du Fils sur la terre, en nous le révélant lui-même, nous apprenait que Dieu est Père éternellement ; car tout ce qui est en Dieu est éternel. Sans cette révélation miséricordieuse qui anticipe pour nous sur la lumière que nous attendons après cette vie, notre connaissance de Dieu serait demeurée par trop imparfaite. Il convenait qu’il y eût enfin relation entre la lumière de la foi et celle de la vision qui nous est réservée, et il ne suffisait plus à l’homme de savoir que Dieu est un.

Maintenant nous connaissons le Père, duquel, comme nous dit l’Apôtre, dérive toute paternité même sur la terre (Éph., 3, 15). Pour nous, le Père n’est plus seulement un pouvoir créateur produisant les êtres en dehors de lui ; notre œil respectueux, conduit par la foi, pénètre jusque dans le sein de la divine essence, et là nous contemplons le Père engendrant un Fils semblable à lui-même. Mais, pour nous l’apprendre, le Fils est descendu jusqu’à nous. Lui-même le dit expressément : « Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui il a plu au Fils de le révéler (s. Matth. 11, 27) ». Gloire soit donc au Fils qui a daigné nous manifester le Père, et gloire au Père que le Fils nous a révélé !

Ainsi la science intime de Dieu nous est venue par le Fils, que le Père, dans son amour, nous a donné (s. Jean 3, 16) ; et afin d’élever nos pensées jusqu’à sa nature divine, ce Fils de Dieu, qui s’est revêtu de notre nature humaine dans son Incarnation, nous a enseigné que son Père et lui sont un (Ibid., 16, 22), qu’ils sont une même essence dans la distinction des personnes. L’un engendre, l’autre est engendré ; l’un s’affirme puissance, l’autre sagesse, intelligence. La puissance ne peut être sans l’intelligence, ni l’intelligence sans la puissance, dans l’être souverainement parfait ; mais l’un et l’autre appellent un troisième terme.

Le Fils, qui a été envoyé par le Père, est monté dans les cieux avec sa nature humaine qu’il s’est unie pour l’éternité, et voici que le Père et le Fils envoient aux hommes l’Esprit qui procède de l’un et de l’autre. Par ce nouveau don, l’homme arrive à connaître que le Seigneur Dieu est en trois personnes. L’Esprit, lien éternel des deux premières, est la volonté, l’amour, dans la divine essence. En Dieu donc est la plénitude de l’être, sans commencement, sans succession, sans progrès, car rien ne lui manque. En ces trois termes éternels de sa substance incréée, il est l’acte pur et infini.

La sainte Liturgie, qui a pour objet la glorification de Dieu et la commémoration de ses œuvres, suit chaque année les phases sublimes de ces manifestations dans lesquelles le souverain Seigneur s’est déclaré tout entier à de simples mortels. Sous les sombres couleurs de l’Avent, nous avons traversé la période d’attente durant laquelle le radieux triangle laissait à peine pénétrer quelques rayons à travers le nuage. Le monde implorait un libérateur, un Messie ; et le propre Fils de Dieu devait être ce libérateur, ce Messie. Pour que nous eussions l’intelligence complète des oracles qui nous l’annonçaient, il était nécessaire qu’il fût venu. Un petit enfant nous est né (Isaï. 9, 6), et nous avons eu la clef des prophéties. En adorant le Fils, nous avons adoré aussi le Père, qui nous l’envoyait dans la chair, et auquel il est consubstantiel. Ce Verbe de vie, que nous avons vu, que nous avons entendu, que nos mains ont touché (1 s. Jean 1, 1) dans l’humanité qu’il avait daigné prendre, nous a convaincus qu’il est véritablement une personne, qu’il est distinct du Père, puisque l’un envoie et que l’autre est envoyé. Dans cette seconde personne divine, nous avons rencontré le médiateur qui a réuni la création à son auteur, le rédempteur de nos péchés, la lumière de nos âmes, l’Époux auquel elles aspirent.

La série des mystères qui lui sont propres étant consommée, nous avons célébré la venue de l’Esprit sanctificateur, annoncé comme devant venir perfectionner l’œuvre du Fils de Dieu. Nous l’avons adoré et reconnu distinct du Père et du Fils, qui nous l’envoyaient avec la mission de demeurer avec nous (s. Jean 14, 16). Il s’est manifesté dans des opérations toutes divines qui lui sont propres ; car elles sont l’objet de sa venue. Il est l’âme de la sainte Église, il la maintient dans la vérité que le Fils lui a enseignée. Il est le principe de la sanctification dans nos âmes, où il veut faire sa demeure. En un mot, le mystère de la sainte Trinité est devenu pour nous, non seulement un dogme intimé à notre pensée par la révélation, mais une vérité pratiquement connue de nous par la munificence inouïe des trois divines personnes, adoptés que nous sommes par le Père, frères et cohéritiers du Fils, mus et habités par l’Esprit-Saint.


Liturgie de la Messe

Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto

Bien que le Sacrifice de la Messe soit toujours célébré en l’honneur de la Sainte Trinité, l’Église aujourd’hui, dans ses chants, ses prières et ses lectures, glorifie d’une manière plus expresse le grand mystère qui est le fondement de la croyance chrétienne. On fait mémoire cependant du premier Dimanche après la Pentecôte, afin de ne pas interrompre l’ordre de la Liturgie. L’Église emploie dans cette solennité la couleur blanche, en signe d’allégresse, et pour exprimer la simplicité et la pureté de l’essence divine.

L’Introït n’est pas tiré des saintes Écritures. C’est une formule de glorification propre à ce jour, et la Sainte Trinité y est représentée comme la source divine des miséricordes qui ont été répandues sur les hommes.

Introït

Bénie soit la Trinité sainte et l’Unité indivisible; célébrons-La, car Elle a agi avec nous dans Sa miséricorde. — Ps. Seigneur notre Dieu, combien est admirable Votre Nom par toute la terre! Gloria Patri. Bénie soit...

Dans la Collecte, la sainte Église demande pour nous la fermeté dans la foi qui nous fait confesser en Dieu l’Unité et la Trinité. C’est la première condition du salut, le premier lien avec Dieu. Avec cette foi, nous vaincrons nos ennemis et nous triompherons de tous les obstacles.

Collecte

Oraison. — Dieu tout-puissant et éternel, qui avez accordé à Vos serviteurs de reconnaître, par la confession de la vraie foi, la gloire de l’éternelle Trinité, et d’adorer l’Unité dans Votre majesté souveraine; daignez nous rendre fermes dans cette même foi, et nous protéger toujours dans les adversités. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

Épître

Lecture de l’Épître du bienheureux Apôtre Paul aux Romains, Chap. 11.
Ô profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu. Que Ses jugements sont incompréhensibles, et Ses voies impénétrables! Car qui a connu les desseins du Seigneur? ou qui est entré dans Ses conseils? ou qui Lui a donné quelque chose le premier, pour en prétendre récompense? Car tout est de Lui, et par Lui, et en Lui: à Lui la gloire dans les siècles! Amen.

Réflexion sur l'Épître

Nous ne pouvons arrêter notre pensée sur les conseils divins, sans éprouver une sorte de vertige. L’éternel et l’infini éblouissent notre faible raison, et cette raison en même temps les reconnaît et les confesse. Or, si les desseins de Dieu sur les créatures nous dépassent déjà, comment la nature intime de ce souverain être nous serait-elle connue? Cependant nous distinguons et nous glorifions dans cette essence incréée le Père, le Fils et le Saint‑Esprit. C’est que le Père s’est révélé lui-même en nous envoyant son Fils, objet de son éternelle complaisance; c’est que le Fils nous a manifesté sa personnalité en prenant notre chair, que le Père et le Saint-Esprit n’ont pas prise avec lui; c’est que le Saint-Esprit, envoyé par le Père et le Fils, est venu remplir en nous la mission qu’il a reçue d’eux. Notre œil mortel plonge respectueusement dans ces profondeurs sacrées, et notre cœur s’attendrit en songeant que si nous connaissons Dieu, c’est par Ses bienfaits qu’Il a formé en nous la notion de ce qu’Il est. Gardons cette foi avec amour, et attendons dans la confiance le moment où elle s’évanouira pour faire place à la vision éternelle de ce que nous aurons cru ici-bas.

Le Graduel et le Verset alléluiatique respirent l’allégresse et l’admiration, en présence de cette haute Majesté qui a daigné faire descendre Ses rayons jusqu’au sein de nos ténèbres.

Graduel

Vous êtes béni, Seigneur, dont l’œil sonde les abîmes, et qui êtes assis sur les Chérubins. V/. Vous êtes béni, Seigneur, au firmament du ciel, et digne de toute louange à jamais. Alléluia, alléluia. V/. Vous êtes béni, Seigneur Dieu de nos pères, et digne de toute louange à jamais. Alléluia.

Évangile

Suite du saint Évangile selon saint Matthieu. Chap. 28.
En ce temps-là, Jésus dit à Ses disciples: Toute puissance M’a été donnée au Ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; leur enseignant à garder tout ce que Je vous ai commandé. Et voici que Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles.

Réflexion sur l'Évangile

Le mystère de la Sainte Trinité manifesté par la mission du Fils de Dieu en ce monde et par la promesse de l’envoi prochain du Saint-Esprit, est intimé aux hommes dans ces solennelles paroles que Jésus prononce avant de monter au Ciel. Il a dit: «Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé (s. Marc 16, 17)»; mais Il ajoute que le baptême sera donné au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Il faut désormais que l’homme confesse non plus seulement l’unité de Dieu, en abjurant le polythéisme, mais qu’il adore la Trinité des personnes dans l’unité d’essence. Le grand secret du Ciel est une vérité divulguée maintenant par toute la terre.

Mais si nous confessons humblement Dieu connu tel qu’Il est en Lui-même, nous avons aussi à rendre l’hommage d’une éternelle reconnaissance à la glorieuse Trinité. Non seulement Elle a daigné imprimer Ses traits divins sur notre âme, en la faisant à Sa ressemblance; mais, dans l’ordre surnaturel, Elle S’est emparée de notre être et l’a élevé à une grandeur incommensurable. Le Père nous a adoptés en Son Fils incarné; le Verbe illumine notre intelligence de Sa lumière; le Saint-Esprit nous a élus pour Son habitation: c’est ce que marque la forme du saint baptême. Par ces paroles prononcées sur nous avec l’infusion de l’eau, la Trinité toute entière a pris possession de Sa créature. Nous rappelons cette sublime merveille chaque fois que nous invoquons les trois divines Personnes en imprimant sur nous le signe de la Croix. Lorsque notre dépouille mortelle sera apportée dans la maison de Dieu pour y recevoir les dernières bénédictions et les adieux de l’Église de la terre, le prêtre suppliera le Seigneur de ne pas entrer en jugement avec Son serviteur; et afin d’attirer sur ce chrétien déjà entré dans son éternité les regards de la miséricorde divine, il représentera au souverain Juge que ce membre de la race humaine «fut marqué durant sa vie du sceau de la Sainte Trinité». Vénérons en nous cette auguste empreinte; elle sera éternelle. La réprobation même ne l’effacerait pas. Qu’elle soit donc notre espoir, notre plus beau titre, et vivons à la gloire du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

(Dom Prosper Guéranger, L'Année Liturgique)